Au quotidien, le chien dépend irrémédiablement de son humain pour satisfaire ses besoins fondamentaux, ce qui rend le propriétaire lui-même dépendant de son animal. Nous sommes alors dans une notion de dépendance et de co-dépendance dans la relation Homme-Chien.
Accueillir un chien dans son foyer, c’est accepter de modifier considérablement son style de vie, en restreignant sa propre liberté. Mais la dépendance du propriétaire à son animal concerne également la sphère affective :
« Je pense qu’il a autant besoin de moi que moi j’ai besoin de lui »,
avoue Mme K., l’humaine de Comics.
En effet, dans les fantasmes inconscients de nombreux humains, le chien est un substitut d’enfant qui ne quitte jamais le foyer, même lorsqu’il grandit et vieillit (Missonnier, 2016). Il est fréquent de constater que l’animal de compagnie vient combler le vide affectif laissé par les enfants devenus adultes et autonomes ou de rencontrer des personnes qui s’initient à la parentalité en adoptant un chien. L’animal dans le couple permettrait une anticipation du processus de parentalité. Ainsi, l’humain adopte inconsciemment un lien de parentalité avec son chien, de la même nature qu’avec un enfant humain, avec son lot de bénéfices narcissiques.
Le rapport au chien sollicite les sentiments à l’état pur, sans retenue, sans artifice, presque originel.
L’affectivité parfois démesurée qui se fixe sur un chien peut prendre la place d’autres relations envers des êtres humains, ces derniers étant susceptibles d’être plus ambiguës ou demandant plus de subtilités dans leurs interactions.
De part son aspect juvénile, le chien apparaît aux yeux de l’humain comme un être vulnérable. Cette vision favorise l’activation du système d’attachement des humains, ou, ce que l’on appelle en psychologie :
LA PRÉOCCUPATION PARENTALE PRIMAIRE.
Il est effectivement fréquent de retrouver des éléments liés à la parentalité dans une relation Homme – Chien :
- le langage utilisé avec le chien présente souvent des caractéristiques proches du langage pour bébé (Jeannin, Gilbert et Leboucher, 2017),
- les humains s’attribuent le rôle et la dénomination de “Papa” et/ou “Maman”, tandis que le chien sera le “bébé” ou tout autre surnom à connotation enfantine,
- pour montrer son attachement, l’humain offre de nombreux jouets et accessoires, directement liés à l’humanisation des chiens,
- l’humain se retrouve gratifié à l’évocation des comportements observés et des sentiments attribués à son chien : à l’instar de la fierté de ses enfants.
Le cas de Milka
Trentenaire sans enfant, Mme E. est l’humaine de Milka, un cocker américain de 5 ans. Milka est un « chien-cadeau » que son conjoint lui a offert à Noël. Madame n’a de ce fait pris part à aucune étape du processus d’acquisition, ce qui l’a empêchée de fantasmer son futur chien. Pour autant, la préoccupation parentale primaire est bien présente chez Mme E., peut-être même de manière excessive :
« Ça reste un chien, mais pour moi c’est plus mon bébé qu’un chien, en fait. Je suis vraiment prête à tout pour lui. Je serais même prête à donner ma vie pour lui. Si j’ai un enfant demain, je ne veux pas préférer mon enfant à mon chien […] D’ailleurs c’est pour ça qu’on n’en a pas, enfin, c’est une raison pour laquelle je ne suis pas prête à en avoir […] Peut-être que ça se fera avec le temps, mais… pour l’instant non, je ne suis pas prête à laisser sa place pour un bébé. »
Que se passe-t-il lorsque la préoccupation parentale primaire pour un chien devient un substitut d’une relation parent-enfant ?
Le désir inconscient de maternité de Mme E. se voit donc comblé, voire accaparé par Milka, qui occupe non seulement une place fantasmée, mais également une réelle place d’enfant. Cette place de chien-enfant semble relever du compromis entre renoncer à son désir de maternité, tout en y répondant. Ce schéma peut conduire le binôme vers une relation interspécifique fusionnelle et déséquilibrée.
Se pose alors la question de la différenciation identitaire où Milka n’apparaît plus comme un individu à part entière, mais comme un prolongement de Mme E.
À l’opposé de cette relation fusionnelle, d’autres humains érigent des frontières hermétiques, se refusant à toute forme d’anthropomorphisme, et à la moindre reconnaissance d’une proximité avec leur animal, qui reste sur son statut de « c’est un chien ».
La tendance ou non à l’anthropomorphisme de l’humain, ainsi que ses représentations du chien et de sa race (besoins, monde mental, place auprès des humains) se répercutent nécessairement sur les interactions et sur la réponse apportée aux besoins fondamentaux du chien. Les différentes projections à son égard peuvent être source de grands malentendus dans la relation et, bien souvent, de mal-être pour le chien.
Ces différents constats conduisent à repenser le concept d’anthropomorphisme, sous la forme d’une jauge qui comprendrait deux extrémités où les humains seraient susceptibles d’entretenir des interactions Homme-Chien dysfonctionnelles :
- d’un côté, une projection et un recours excessif au référentiel humain entraînant une confusion interspécifique,
- de l’autre, l’établissement de frontières interspécifiques hermétiques, avec une représentation plus restreinte de ses besoins.
Dans ces deux cas de figure, il est fréquent d’observer une incapacité des humains à répondre correctement aux besoins fondamentaux du chien.
UN CHIEN EST UN CHIEN, AVEC DES BESOINS DE CHIEN ET CELA PEUT ÊTRE MERVEILLEUX D’ÊTRE UN CHIEN.