Il arrive – très – fréquemment que certaines personnes acquièrent un animal lorsqu’elles rencontrent des événements de vie difficiles (deuil, maladie, séparation, isolement, ou confinement dû à une pandémie mondiale par exemple…), le chien représentant alors un soutien social et psychologique.
Avant même son arrivée, il lui sera ainsi attribué une fonction réparatrice et un rôle qui sera d’apporter réconfort, attention, sécurité et bien-être à son humain.
N’y entend-on pas là une tentative d’auto-guérison de la part de l’Homme ?
Aujourd’hui, les travaux en éthologie soutiennent qu’en raison de leur sensibilité, les chiens seraient sujets à la contagion émotionnelle (Huber et coll., 2017) et même capables d’empathie interspécifique (Custance et Mayer, 2012).
En France, en 2003, le Groupe de recherche et d’étude sur la thérapie facilitée par l’animal a publié un livre résumant les bénéfices des relations interspecifiques chien / humain pour la prévention ou pour toute une série d’indications : le soin des personnes âgées, le traitement de maladies neuropsychiatriques comme les démences, le retard mental, la schizophrénie, l’anxiété chronique et bien d’autres situations.
Dans un contexte de vulnérabilité se pose alors la question des conditions d’accueil du compagnon “réparateur”. Toute proportion gardée, il appert que les humains concernés par cette approche d’auto-guérison, quelle qu’elle soit, présentent plus de difficultés à répondre aux besoins fondamentaux réels de leur chien et ont une tendance plus forte à l’anthropomorphisme.
Le cas de Comics
Mme K. est âgée d’une 40aine d’années, mariée et mère de 2 adolescentes. Après une longue réflexion, la famille a accueilli Comics, un chiot golden retriever. Depuis son enfance, Mme K. a toujours eu des chiens, jusqu’à la mort il y a quelques années de sa chienne Chouquette. Celle-ci avait été acquise alors que Mme K. traversait en moins de six mois la mort de sa première chienne, suivie du décès de son père.
Dans cette période de vulnérabilité affective intense, elle a ressenti le besoin impérieux d’avoir un chien pour apaiser sa souffrance :
“Ma chienne est morte au mois de juillet, mon père au mois de novembre. Et au mois de décembre j’ai dit « faut que j’aille chercher un chien, j’en ai besoin ».”
Elle reconnaît d’ailleurs avoir fait son deuil avec Chouquette, qu’elle qualifie de « chien-pansement » et à qui elle vient opposer Comics :
« C’est complètement différent. Il est arrivé après mure réflexion, dans un moment de ma vie où j’avais besoin de me sentir utile. Ce n’était pas un chien-pansement. »
Si selon elle Comics n’est pas un « chien-pansement », il est tout de même intéressant d’observer le contexte dans lequel il est arrivé : adolescence de ses filles, crise de la quarantaine et difficultés professionnelles. Cette série d’atteintes narcissiques a entraîné une fragilité de son sentiment d’utilité : un certain mal-être existentiel. Avant même son arrivée, et de manière probablement inconsciente, Comics était donc une possible source de revalorisation narcissique qui lui permettrait de restaurer son sentiment d’utilité.
« Quand on est à un stade comme moi où les enfants sont grands, on se sent un peu moins utile. D’un coup… Oui, avec un chien, on se sent important pour quelqu’un. […] On se sent utile et puis moi je l’ai eu à un moment où dans ma vie professionnelle, j’avais des gros problèmes… le fait de rentrer chez moi le soir et de l’avoir, même si je suis heureuse en couple, même si j’ai mes enfants, c’est vraiment quelque chose en plus […] C’est un gros réconfort. »
L’acquisition de Comics vient aussi répondre à un désir d’enfant de Mme K., qui n’était pas partagé par son mari. Ceci nous laisse entrevoir le deuil non fait de son désir d’enfant, qui s’inscrit dans la continuité de son besoin de revalorisation narcissique durant cette période :
« Alors évidemment un chien ne remplace pas un enfant, mais… je n’ai pas eu d’enfant avec mon mari actuel […] Mes filles grandissent, ont moins besoin de moi. Et puis j’avais le sentiment qu’il fallait que je serve à quelqu’un ! […] Évidemment Comics ce n’est pas un bébé, mais il a besoin de moi. Et à ce moment-là, j’avais besoin de sentir que quelqu’un m’attende à la maison […] C’est comme un bébé qui a besoin de sa mère. »
C’est là un avantage considérable qu’a le chien : il supprime le sentiment d’inutilité chez la personne qui s’engage à le soigner et à le prendre en charge.
L’animal a souvent, et pendant très longtemps, été considéré comme réductible à son espèce, contrairement à l’être humain qui doit être envisagé dans sa grandeur, sa singularité propre. L’Homme avec un grand H !
Or, depuis quelques décennies, les auteurs en éthologie, en psychologie comparée et en philosophie se sont attelés à la déconstruction de cette fausse supériorité de l’homme et à la reconsidération des animaux comme des individus à part entière, non réductibles au concept seul d’animal.
Par conséquent, la rencontre qui a lieu avec le chien n’est pas une simple rencontre entre un humain et un chien, mais bien une rencontre entre deux individualités. Pourquoi cette fascination pour l’être canin ?
Admire-t-on le chien pour ce qu’il sait faire, pour ce qu’il est incapable de faire ou pour les émotions qu’il enclenche chez l’homme ?
Pourquoi admire-t-on le chien ?
- Par immersion émotionnelle : Le chien stimule la réponse émotionnelle immédiate : il aboie, il agite la queue, il demande avec insistance, il signale clairement son intérêt ou sa désapprobation.
- Par infériorité : Grâce à ses compétences mentales, le chien montre qu’il tente d’approcher le monde humain ; mais par ses limites, il atteste de la “grandeur” de l’homme.
- Par focalisation : Le chien apporte à l’Homme le message que le bien-être peut venir de ne penser et de n’agir que dans une direction, de ne vouloir et de ne faire qu’une chose à la fois. Il offre à l’Homme la possibilité de focaliser toute son attention sur lui, l’animal : distraction et soulagement !
- Par néoténie : L’aspect juvénile comportementale et émotionnelle du chien adulte plaît à l’Homme, parce qu’elle évoque les bonheurs enfantins et que le chien est un substitut de ce que le jeune enfant apporte à ses parents.
- Par mystère : L’attrait du chien vient aussi de la curiosité de l ’Homme face à l’inhabituel et à l’étrangeté animale. Celui qui communique avec l’animal se questionnera sur la condition des arbres et si les pierres ne peuvent pas communiquer et nous soigner par leurs ondes.
- Par sagesse : Le chien naît sage, car il n’utilise pour vivre que ses capacités réelles, qu’elles soient innées ou acquises, sans espoir de devenir autre, meilleur, plus performant, admiré ou enrichi.
- Par comportement en miroir : Le chien accorde à l’Homme une relation où l’intimité prévaut comme position par défaut : une communication d’emblée confiante et fondée sur l’acceptation de l’autre. Entre les humains, la position par défaut est plutôt l’observation, la méfiance, voire le retrait, l’incompréhension ou l’indifférence, sinon l’agressivité ; ce n’est que secondairement que se crée une relation d’intimité, comme position alternative, acquise par l’effort réciproque.
Il n’y a rien de négatif ou de mal en soit a avoir un “chien-pansement”, le plus important étant de faire preuve d’honnêteté intellectuelle à son sujet. Et ne soyons pas dupes : les professionnels du monde canin sont tout autant, voire davantage, touchés par ce mécanisme psychologique. On ne vient pas dans le monde du chien par hasard.
Finalement, ne sommes-nous pas tous les humains de notre propre chien-pansement ?